Ainsi que l’indique Georges Perec dans son livre «L’infra-ordinaire», ce qui nous parle, c’est toujours l’événement, l’insolite, l’extra-ordinaire, comme si la vie ne devait se révéler qu’à travers le spectaculaire mais jamais « ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, […] Ce qui se passe chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel»(1) . Car effectivement, nous n’interrogeons jamais cet habituel, nous le vivons sans y penser.
Dans son travail, Valerian Goalec sonde notre rapport aux objets et, au-delà, à ce quotidien qu’évoque Perec et à l’usage que l’on en fait, en le ralentissant jusqu’à le mettre en pause, faisant ainsi écho à la pensée de Marcel Duchamp sur la relation des œuvres au temps dont « toutes [les] fractions passées et futures [y] coexistent dans un présent qui n’est déjà plus ce qu’on appelle ordinairement l’instant présent, mais une sorte de présent à étendues multiples » (2).
Valerian Goalec questionne alors cette multiplicité temporelle à travers la mise en œuvre d’une situation dont chaque élément devient une curiosité que l’on n’observe plus comme une forme fonctionnelle mais comme une énigme au travers d’une normalité, d’une banalité quotidienne qui crée dès lors « une zone située entre visibilité et invisibilité où la prise de forme a lieu »(3).
Ici cette situation a trait au travail, archétype de l’espace standardisé par excellence, tant dans ses usages que dans son mobilier. L’espace normé du white cube est transposé dans celui d’une agence à l’affectation incertaine. Un lieu suspendu dans lequel le visiteur s’interroge sur sa présence, sur son rôle et sur ce qu’il y fait, ce qu’il y voit.
En déployant ces éléments issus de la vie quotidienne, Valerian Goalec révèle à travers eux l’infra-mince du quotidien par une opération de décentrement du regard. Il cherche alors à « établir un lien explicite entre la façon dont l’oeuvre nous échappe, sa manière de se dérober à nous à cause de la non affirmation de son apparition, et la façon dont son exemple marque voire hante les esprits, la façon dont elle nous atteint ».
Cet opération de lecture du monde lui permet alors de questionner nos rapports à ce même monde dont l’évolution semble s’accélérer à chaque seconde qui passe. En proposant ce temps de pause, il nous permet ainsi de prendre le temps de l’observation et de trouver ou retrouver, à travers cette mise en attente, une lecture poétique de ce qui semble tellement aller de soi que nous en avons oublié l’origine, d’en offrir un point de vue à la fois complémentaire et divergent.
Tel devient alors le rôle de ces œuvres, de ces dispositifs et formes ténus : faire que « l’extension du champ de la perception, l’ouverture des sens [deviennent] alors la véritable matière de l’expérience esthétique : c’est elle qu’il s’agit de poser comme but ultime du travail de la forme, du travail de l’art. C’est elle qui devient véritablement l’objet de l’oeuvre, le produit de l’invention » (4).
Ou comment la mise en situation d’objets communs questionne l’essence des choses, l’essence de l’être.
(1) Georges Perec, L’infra-ordinaire, Paris, Editions du Seuil, 1989, p 11
(2) Marcel Duchamp, Duchamp du signe, Paris, Flammarion, 2008, p 333
(3) Thierry Davila, De l’inframince, Brève histoire de l’imperceptible de Marcel Duchamp à nos jours, Paris, Edition du Regard, 2010, p11
(4) Ibid, p8
(5) Ibid, p22
Cette exposition est coproduite avec 10n, Bruxelles.
Valerian Goalec_Entrée libre
Du 11 février au 14 mai
Vernissage le 10 février de 18h à 21h
openspace pop-up
14 rue Stanislas
54000 Nancy
ouverture du mercredi au dimanche de 14h à 19h.