« Une représentation c’est un processus de construction à partir de l’action de la réalité sur nos sens
mais également des acquis de notre mémoire, des fantasmes qui nous font privilégier certains aspects
plutôt que d’autres. Cette construction est ensuite projetée sur le réel » (1)
La pratique de Thomas Julier se déploie à travers l’image, fixe comme animée ou en volume, qu’il déploie dans de subtiles installations où le spectateur est confronté aux interrogations portées par l’artiste sur le statut et le sens de l’image produite. En effet, ce qui intéresse Thomas Julier est autant la conception mentale de cette image que sa translation matérielle dans un espace d’exposition tant physique que psychique.
Ce processus de travail et de réflexion (production, sélection, agencement) se retrouve au cœur de l’exposition. Il se concentre ici sur la question de la représentation, question qui se situe au carrefour de l’esthétique et de la philosophie. En effet, l’idée de représentation consiste à croire qu’il existe une manière juste (et par conséquent une méthode) de rendre la réalité. Mais la conception d’une juste représentation de la réalité depend de nombreuses considérations qui vont au-delà de la simple référence aux données de notre sensibilité (2).
Comme l’écrit Nelson Goodman : « Une image, pour représenter un objet, doit en être un symbole, […] y faire référence ; mais […] la ressemblance n’est […] nullement nécessaire. Une image qui représente un objet — ou une page qui le décrit — y fait référence et, plus particulièrement, le dénote. La dénotation est le cœur de la représentation et elle est indépendante de la ressemblance » (3). Ainsi « à propos d’une image comme de n’importe quelle autre étiquette, il se pose toujours deux questions : ce qu’elle représente (ou décrit) et la sorte de représentation (ou de description) qu’elle est »(4).
Ici Thomas Julier s’intéresse plus particulièrement à la question de la représentation du corps. Il l’explore à travers la présentation de plusieurs objets : sculptures, dessins. Cette variété de médium lui sert à inventorier différentes manières de voir et de faire voir, à explorer différentes techniques de faire qui lui permettent de mettre en œuvre cette dénotation qu’évoque Nelson Goodman. Il s’attache plus particulièrement à deux éléments du corps, la tête et la main, qui, dans la tradition de l’art, sont ceux dont l’élaboration est réservée aux grands maîtres, bien qu’ici ces éléments soient plus de l’ordre du rebus, la main provenant d’un reste d’une sculpture en plâtre du XIXe siècle cassée, issue d’une collection d’un musée suisse, et la tête d’un mannequin anonyme acheté en ligne.
Se faisant, il en décompose et recompose l’essence à travers leur reproduction mécanique, assemblant et dissemblant l’original et son double, interrogeant leur identité car symbole de l’identification et de la légitimation de chaque individu. Ce travail de décomposition et recomposition s’étend par ailleurs à l’exposition en elle-même. Dans le choix des matériaux qui la compose, autant physiquement que mentalement, Thomas Julier cherche à perturber nos repères, notre manière de penser les choses. Ce qu’il nous donne à voir est une variation de et sur la représentation, un jeu sur l’enjeu de la présentation, de la disposition, de la composition d’une exposition, de ce que peut être ou raconter une exposition.
Il interroge ainsi le rapport que les oeuvres peuvent entretenir entre elles, entre leurs représentations, entre l’environnement de leur production. Il éprouve ainsi leurs potentiels et limites dans la description et la représentation et interroge leur langage et objectivité.
(1) E. Morin : La méthode : « La connaissance de la connaissance »
(2) E. H. Gombrich, L’art et l’illusion, op. cit., p. 33.
(3) Nelson Goodman, Langages de l’art, trad, franç., J. Morizot, J. Chambon, 1990, p. 35, ainsi que Esthétique et connaissance, trad, franç., R. Pouivet, L’Éclat, 1993.
(4) Ibid, p. 56.
Cette exposition reçoit le soutien de ProHelvetia et du Canton du Valais
Thomas Julier_On display
Du 15 octobre au 8 janvier
Vernissage le 14 octobre de 18h à 21h
openspace pop-up
14 rue Stanislas
54000 Nancy
ouverture du mercredi au dimanche de 14h à 19h.