« Je parlerai de l’écriture féminine : de ce qu’elle fera. »
And then she said, “You have a future, but it looks a lot like your past” est un projet collaboratif d’Helen Anna Flanagan et Marijke De Roover. Le film que les deux artistes ont réalisé s’articule autour de L’Écriture féminine. Cette théorie analyse les relations entre, d’une part, les inscriptions culturelles et psychologiques du corps féminin et, d’autre part, les spécificités de la langue et des textes des femmes. Elle agit comme un moyen de décentrer les modes d’écriture conventionnels, de revendiquer l’espace et de faire émerger les voix féministes dans « un torrent extatique de mots ». Né du travail d’intellectuelles, ce mouvement est devenu un pilier de la théorie littéraire féministe française au début des années 1970. C’est notamment la publication par Hélène Cixous en 1975, du « rire de la Méduse » dans un numéro de la revue L’Arc consacré à « Simone de Beauvoir et la lutte des sexes » qui inaugure ce courant de pensée. En effet, cet essai est devenu l’un des textes de référence de la deuxième vague du féminisme français et a connu, grâce à sa traduction anglaise, une reception internationale de grande ampleur encore aujourd’hui.
Dans ce texte, Hélène Cixous évoque « l’écriture [comme] la possibilité du changement, l’espace d’où peut s’élancer une pensée subversive, le mouvement avant coureur d’une transformation des structures sociales et culturelles ». Pour l’auteure, « il faut que la femme s’écrive, écrive de la femme et fasse venir les femmes à l’écriture, dont elles ont été éloignées aussi violemment qu’elles l’ont été de leurs corps ; pour les mêmes raison, par la même loi, dans le même but mortel. Il faut que la femme se mette au texte – comme au monde, et à l ‘histoire -, de son propre mouvement. » , « il faut qu’elle s’écrive parce que c’est l’invention d’une écriture neuve, insurgée qui, dans le moment venu de sa libération, lui permettra d’effectuer les ruptures et les transformations indispensables dans son histoire » « Ecrire, [est un] acte qui non seulement « réalisera » le rapport dé-censuré de la femme à sa sexualité, à son être-femme, lui rendant accès à ses propres forces; qui lui rendra ses biens, ses plaisirs, ses organes, ses immenses territoires corporels tenus sous scellés; qui l’arrachera à la structure surmontée dans laquelle on lui réservait toujours la même place de coupable (coupable de tout, à tous les coups) » car « c’est en écrivant, depuis et vers la femme, et en relevant le défi du discours gouverné par le phallus, que la femme affirmera la femme autrement qu’à la place à elle réservée dans et par le symbole, c’est à dire le silence. »
Cette manière de penser les relations entre le corps des femmes et leur expression a par ailleurs inspiré de nombreuses artistes et plasticiennes. Le texte d’Hélène Cixous est devenu « un texte-phare de leur pratique artistique » : « Les artistes qui ont répondu à l’appel de la Muse/Méduse jouent sur les multiples supports de la création esthétique; elles créent de nouvelles articulations entre le langage verbal et le langage de l’image, entre l’oeuvre artistique et le corps féminin. », « l’écriture féminine se réalise [ainsi] à travers le mouvement et la projection dans l’espace où le corps est d’emblée présence, beauté et provocation. ».
L’œuvre d’Helen Anna Flanagan et Marijke de Roover tient de ce principe. Six femmes y explorent leurs traumas, dans un mouvement collectif libératoire. Dans une architecture brutaliste, à laquelle se réfère la scénographie de l’installation, chacune d’elles tente de communiquer avec le groupe, chacune d’elles tente de se libérer, par la parole, de ses blessures intimes causées par les oppressions sociales et sociétales qu’elles subissent. C’est dans l’entremêlement de ces récits féminins et féministes que s’entrevoit la praxis d’Hélène Cixous. Les deux artistes développent dans leur écriture scénaristique une liberté d’association et de construction. Les paroles s’interrompent, se répètent et s’entrecroisent amenant une circulation du récit qui permet cette dé-centration à laquelle invite Hélène Cixous et crée un effet de déstabilisation pour le spectateur. Il n’y a pas de linéarité dans le scénario mis en place, juste l’envie de mettre en œuvre une autre parole, déliée du carcan esthétique et normatif patriarcal.
Mais le constat est finalement amer, la société restant le plus souvent ancrée dans ses réflexes et structures phallogocentriques et hétéronormés. La parole des femmes, si elle se libère, a encore beaucoup à faire pour être entendue. Le futur déclaré de l’écriture féminine par Hélène Cixous ressemble ainsi encore beaucoup à notre passé/présent. And then she said, “You have a future, but it looks a lot like your past”.
Cette exposition reçoit le soutien du Mondriaan Fonds.
Helen Anna Flanagan & Marijke De Roove_and then she said » You have a future, but it look a lot like your past »
Du 11 juin au 4 septembre
Vernissage le 10 juin de 18h à 21h
openspace pop-up
14 rue Stanislas
54000 Nancy
ouverture du mercredi au dimanche de 14h à 19h.